Montréal, le 22 février 2024
Monsieur François Legault, Premier ministre du Québec
Monsieur Mathieu Lacombe, Ministre de la Culture et des Communications
Objet : Enjeux de financement en culture : une question de bonne gouvernance
Messieurs,
Les manières de produire, de diffuser et de consommer la télévision, le cinéma et la musique ont radicalement changé au cours des dernières décennies. Le modèle d’affaires des géants de la diffusion en continu a complètement bouleversé l’écosystème de notre industrie culturelle. Malgré des investissements importants en culture dans les dernières années[1], les artistes et artisans québécois continuent de s’appauvrir, ce qui génère une crise de confiance envers les différentes institutions publiques de l’écosystème de notre industrie culturelle. Pour certains, il est devenu impossible d’exercer leur métier avec dignité. Si nous vous interpellons aujourd’hui, c’est pour vous demander de rassembler tous les intervenants du milieu – producteurs, distributeurs, diffuseurs et créateurs – afin de redéfinir les mécanismes d’attribution, de distribution et de circulation des fonds publics.
La place importante qu’occupent les plateformes numériques a une incidence sur la découvrabilité de nos productions, mais aussi sur leur financement, qu’il soit privé (publicités) ou public (subventions). Or, les fonds publics destinés à la culture ne percolent pas adéquatement jusqu’au bout de la chaîne, soit les artistes et les créateurs. Nous constatons des zones d’ombre dans la répartition de l’argent public attribué à l’industrie culturelle, et cela nous inquiète. Le financement de la culture semble être une manne lucrative pour certains, au détriment des artistes et des artisans, qui sont au cœur de la création, de sa diversité, de sa qualité et de sa renommée, ici comme ailleurs. Par-dessus tout, des projets ou des entreprises qui ne respectent pas les ententes collectives en vigueur (ententes signées par les associations et les syndicats et qui établissent les conditions de travail et de rémunération minimales pour les artistes) ne devraient pas être subventionnés.
En analysant les mécanismes d’attribution de financement mis en place actuellement, plusieurs questions se posent. Comment des boîtes de production, qui reçoivent des subventions, peuvent-elles siéger sur les conseils d’administration des sociétés qui accordent elles-mêmes ces subventions, alors que les artistes y sont absents ? Pourquoi certaines grandes compagnies tant dans le secteur audiovisuel qu’en musique se voient-elles accorder un important financement récurrent, amaigrissant ainsi la part attribuée aux petites compagnies qui pourraient accomplir des projets innovants, mais qui peinent à obtenir du financement ? Comment des compagnies de production qui ne vivent que de l’argent public peuvent-elles devenir si lucratives que des consortiums cotés en bourse les achètent ?
Ce sont là des questions qui demeurent sans réponse et qui gagneraient à être étudiées au bénéfice de l’ensemble de l’industrie et des finances publiques du Québec.
Depuis les cinquante dernières années, aucune grande réflexion collective n’a été réalisée sur ces importantes questions. Nous croyons qu’il est plus que temps d’agir afin de redéfinir la meilleure manière de faire briller et de protéger la culture d’ici, ses artistes et ses artisans. Notre culture est au cœur de l’identité des Québécois et des Québécoises. Nous avons le devoir de la sauvegarder et d’assurer aux plus jeunes générations l’accès à la richesse des contenus d’ici.
Soyez assurés, Messieurs, de notre entière collaboration dans ce dossier. Nous vous remercions de l’attention que vous accorderez à cette demande et nous vous prions de recevoir nos plus distinguées salutations.
Gabriel Pelletier, président Association des réalisateurs et des réalisatrices du Québec (ARRQ)
Tania Kontoyanni, présidente Union des artistes (UDA)
Christian Lemay, président, AQTIS 514 IATSE
Michèle Laliberté, présidente par intérim, Guilde canadienne des réalisateurs, DGC Québec
Luc Fortin, président Guilde des musiciens et musiciennes du Québec (GMMQ)
Chantal Cadieux, présidente Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC)
[1] Institut de la statistique du Québec. Observatoire de la culture et des communications du Québec. https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/depenses-culture-administration-publique-quebecoise-2020-2021.pdf